CHAPITRE XII
Au moment même où il se réveilla, Qui-Gon sut que la tempête était passée. Le vent était tombé, et un calme presque surnaturel planait sur le camp. Lorsqu’il entrouvrit la porte du dôme, il vit un tapis de neige d’un blanc immaculé et un ciel d’un bleu limpide.
Élan allait certainement lui demander de partir. Qui-Gon rassembla ses affaires tout en essayant de faire de même avec ses pensées. Comment pouvait-il la convaincre ? Il refusait d’abandonner. Il sentait que la participation d’Élan aux élections était cruciale.
Il prit un petit déjeuner frugal et partit dans la neige en direction du dôme d’Élan. Le peuple des collines s’activait déjà. Des enfants jouaient dehors. Un homme cueillait les dernières baies de la saison. Dana, qui portait la brassée de bois d’un homme plus âgé, lui fit signe depuis l’autre côté de la clairière.
Qui-Gon frappa à la porte du dôme d’Élan et entra après y avoir été invité.
La jeune femme mélangeait baumes et potions sur une paillasse placée devant un petit feu qui crépitait joyeusement. Qui-Gon se rappela les soupçons d’Obi-Wan. Il les avait rejetés sur-le-champ. Avait-il eu tort ? Pourtant, Élan lui semblait pure, ancrée dans la réalité. Il la jugeait incapable de condamner quelqu’un à une mort lente par empoisonnement.
Qui-Gon s’assit sur une chaise à côté d’elle.
– Inutile de prendre tes aises, dit-elle. Tu t’en vas ce matin.
– La couche de neige me semble profonde, observa le Jedi.
– Nous te prêterons un swoop, répondit-elle tout en broyant des simples pour en faire une pâte.
– Mes blessures me gênent encore.
– Je te prépare un remède, fit-elle, imperturbable. Presque aussi efficace que du bacta. (Enfin, elle le regarda, et un léger sourire illumina ses yeux.) Crois-tu pouvoir me faire changer d’avis, Qui-Gon ? Ce serait mal me connaître.
– Pourtant, j’ai l’impression inverse.
Soudain, un roulement de tonnerre retentit dans le silence, si fort qu’il fit vibrer le dôme.
– Une autre tempête s’annonce, dit Qui-Gon.
– Tu ne vas pas te laisser effrayer par deux ou trois malheureux flocons ?
Il y eut un second roulement de tonnerre. Qui-Gon se redressa sur sa chaise. Lorsqu’il regarda Élan, il constata qu’elle ne souriait plus.
– Ce n’est pas le tonnerre, dit-elle.
–… Mais des chars, compléta Qui-Gon.
Ils se ruèrent hors du dôme et virent Dana qui se précipitait au-devant d’eux.
– Nous sommes attaqués ! dit-il, hors d’haleine. Ce sont les Gardes Royaux ! J’ai reconnu leurs insignes.
Le grondement des chars faisait trembler le sol. Qui-Gon les regarda approcher à travers l’immense plaine. La neige les ralentissait, mais ils finiraient bien par passer. Les gens des collines n’avaient plus beaucoup de temps devant eux.
– Nous devons les éloigner du camp ! s’écria Élan.
Une ombre descendit sur la neige. Qui-Gon leva les yeux. Un énorme vaisseau de transport survolait le camp. Il atterrit dans une prairie couverte de neige à proximité des chars en marche. Des passerelles jaillirent des flancs de l’appareil, déversant un nouveau lot d’engins.
– Des tanks à protons, dit Qui-Gon. Les soldats sont à l’intérieur. Ils n’exposeront pas leur vie, sauf nécessité absolue.
– Ils vont raser le camp ! s’exclama Dana.
Élan se mordit la lèvre, réfléchissant à toute vitesse.
– Dana ? Durant la tempête, le vent soufflait bien du nord-est ?
– Oui, mais…
– Fais embarquer tout le monde à bord des swoops, ordonna sèchement Élan. Dis à Nuni de conduire les enfants et les anciens dans l’abri. Et envoie Viva chercher ma sacoche de guérisseuse. Nous… nous en aurons peut-être besoin. Vite !
Dana acquiesça et partit en courant. Élan se tourna vers Qui-Gon. Le Jedi admira son calme face à une situation aussi critique.
– Quant à toi, Qui-Gon, je ne peux te prêter un swoop. J’en ai besoin pour combattre. Mais tu pourras fuir par l’autre versant de la montagne.
Elle désigna une piste étroite qui serpentait entre les dômes.
– Je préfère prendre ce swoop que vous m’avez promis, répondit Qui-Gon.
– Mais je ne…
Il activa son sabre laser et tint la lame d’un vert intense devant ses yeux.
– Je ne laisserai pas votre peuple sans protection.
Le peuple des collines était paré pour la contre-attaque – quiconque était âgé de plus de dix ans et de moins de quatre-vingts chevauchait un swoop, conclut Qui-Gon.
Élan enfourcha son engin. Qui-Gon fit de même.
– Voilà ce que nous allons faire, dit-elle aux autres. D’abord, nous tournons autour des tanks, histoire de jouer avec leurs nerfs. Mais restez hors de portée de leurs canons. Vous vous souvenez de nos parties de zoomball ?
Tous acquiescèrent. Elle leur sourit, croisant autant de regards que possible.
– Mettons que les chars soient les goals. Imaginez-vous que vous affrontez les meilleurs joueurs de zoomball de la galaxie. Nous allons essayer de les attirer loin du camp. Lorsqu’ils seront furieux à souhait, nous les entraînerons vers Moonstruck Pass.
– Moonstruck Pass ? demanda Dana. Mais…
– Tout à fait, rétorqua Élan en souriant.
Qui-Gon n’eut pas le temps de demander une explication. Élan mit pleins gaz et disparut. En quelques secondes, elle ne fut plus qu’un point dans le lointain. Les autres la suivirent.
Qui-Gon avait déjà piloté des speeders de différents types et toutes sortes de véhicules volants, mais c’était la première fois qu’il conduisait un swoop. Les instruments de contrôle se trouvaient sur les guidons et sur la selle. Tout comme Élan l’avait fait, il tourna la manette à fond, prit de la vitesse, puis corrigea légèrement sa trajectoire en tournant le guidon droit. Le swoop partit aussitôt de côté et fonça vers un arbre.
– Penche-toi ! lança une voix sur sa gauche.
Qui-Gon obéit en se cramponnant à l’appareil.
Lorsqu’il eut repris le contrôle du swoop, il tenta une nouvelle correction, mais en y allant plus doucement. Cette fois, il resta avec le gros de la troupe ou, du moins, ne le perdit pas de vue.
Qui-Gon ne tarda pas à avoir l’appareil bien en main. Le swoop était plus sensible que les engins auxquels il était habitué, mais compensait ce défaut par une agilité supérieure. Avant d’arriver à portée des canons à ions, il s’entraîna à plonger et à redresser abruptement, à prendre des virages serrés. Puis il accéléra pour rejoindre les autres, qui avaient presque atteint les chars.
Lorsqu’il arriva à la hauteur d’Élan, celle-ci se tourna vers lui :
– Il était temps ! s’exclama-t-elle avec un sourire amical, comme s’ils faisaient une promenade d’agrément. Tu penses pouvoir maîtriser cet engin ?
– Je ferai de mon mieux, répondit Qui-Gon au moment même où, sur sa gauche, un tir de canon arrachait l’écorce d’un arbre.
– Tu as intérêt.
Elan tourna brutalement le guidon de droite pour éviter une seconde décharge.
Les swoops se déployèrent en formation, plongèrent, puis redressèrent presque aussitôt. Ils foncèrent vers les chars, puis battirent en retraite. Qui-Gon ne tarda pas à adopter le rythme. Maintenant, il comprenait pourquoi Élan avait comparé leur manœuvre à un jeu. Les chars étaient bien patauds face aux petits swoops beaucoup plus agiles. Ils pouvaient monter en chandelle pour piquer jusque sous la gueule des canons, puis virer avant que les Gardes Royaux n’aient pu ouvrir le feu.
Élan et Dana harcelèrent un char qui se lança à leur poursuite. Ils le perdirent dans un taillis. Qui-Gon entendit un grand bruit de tôle froissée, et ceux des collines poussèrent des acclamations. Le char était tombé droit dans un ravin.
– Moonstruck Pass ! s’écria Élan.
Elle inversa le flux de ses réacteurs et resta en suspension entre ciel et terre tandis qu’une décharge de canon la manquait d’un cheveu. Puis elle partit en piqué à flanc de montagne, sans cesser de zigzaguer de droite à gauche et de haut en bas. Qui-Gon s’élança à sa suite.
Les chars peinaient à maintenir l’allure. Sans doute les assaillants avaient-ils cru à une victoire facile : ils braqueraient leurs énormes canons sur le camp, le réduiraient en cendres, puis captureraient les survivants. Ils ne s’étaient pas attendus à devoir pourchasser le peuple des collines à travers la montagne. S’ils avaient eu pour deux sous de jugeote, ils n’auraient pas tenté de les poursuivre. Mais les troupes royales avaient perdu la main. Elles n’avaient pas livré de bataille en règle depuis des générations : pour l’essentiel, leur mission consistait à mater quelques malheureuses révoltes urbaines. Si elles avaient pour elles la force numérique, elles étaient de bien piètres stratèges.
Cependant Qui-Gon n’avait pas la naïveté de sous-estimer l’adversaire. Si les chars réussissaient à prendre au piège Élan et son peuple, leur puissance de feu serait décisive. Que valaient des arbalètes et quelques blasters – plus un sabre laser – face à ces formidables canons ?
Qui-Gon resta en arrière-garde, tentant d’attirer sur lui les tirs des canons à ions. Il n’avait pas la moindre idée de leur destination. Les montagnes, de part et d’autre, se resserraient de plus en plus. L’inquiétude commençait à le gagner. Bientôt, les swoops perdraient de leur liberté de manœuvre – leur seul avantage tactique.
Le soleil se refléta sur la neige devant lui, l’aveuglant. Soudain, les appareils qui le précédaient ralentirent. Qui-Gon rétrograda en hâte, ce qui le fit se retrouver trop près à son goût du char de tête. La Force jaillit tout autour de lui pour le prévenir ; il vira sur la gauche, évitant une décharge de justesse. Il sentit le souffle brûlant lui effleurer le dos.
Il accéléra pour rattraper les autres swoops. L’éclat du soleil sur la neige était si fort qu’il n’y voyait pas grand-chose. Il invoqua la Force pour le guider. Il s’aperçut alors que le défilé se rétrécissait encore, et que le canyon suivant se refermait sur lui-même, formant une sorte de cuvette. Ils allaient être faits comme des rats, pensa-t-il. Élan s’était-elle perdue ? Ou avait-elle une idée en tête ? En ce cas, il aurait bien aimé savoir laquelle.
Il rejoignit les swoops qui planaient très haut au-dessus de la passe menant au canyon. Lorsque les chars arriveraient, tous les appareils allaient être réduits en pièces.
Un Jedi est prêt à accueillir la mort à tout instant. Mais Élan devait-elle vraiment lui envoyer une invitation en règle ?
Les chars prirent de la vitesse dans un vacarme d’apocalypse : les Gardes Royaux avaient compris qu’ils tenaient leurs adversaires. Les canons à ions grondaient à présent à qui mieux mieux, davantage en signe de triomphe que pour obéir à un objectif stratégique. Les chars pénétrèrent dans le canyon. Le premier manœuvra pour faire feu sur les swoops immobiles…
… et disparut soudain dans une énorme congère. Un deuxième char traversa la mince couche de glace et fut englouti à son tour.
Les autres voulurent battre en retraite, mais il était trop tard. Un par un, ils s’enfoncèrent sous la croûte de neige verglacée et furent ensevelis à jamais. En quelques instants, il n’en resta plus un seul.
Élan, les joues rosies par la bise, approcha son swoop de celui de Qui-Gon. Ses yeux bleu foncé étincelaient.
– Tu peux rengainer ton sabre laser, Jedi ! s’exclama-t-elle.